Degré de confiance à accorder à l'information : 3 Titre : Chronique Familiale Abréviation : 1305-Chronique de la maison de Rigal par David de Rigal 2015 Type : Auteur : David de Rigal Date : 2015 Donnée : Texte exact provenant d'un document original : Des lueurs dans la nuit des temps. Avant le XVIème siècle, on retrouve dans les rares documents d’archives des familles qui pourraient nous être apparentées. Ainsi, dans une charte d’emprunt souscrit à Damiette, en Égypte, datée de novembre 1249, on retrouve parmi différents chevaliers et damoiseaux originaires de Haute-Auvergne, un certain Amblard de Rigal, damoiseau. Il existait en 1263 un G. Rigal, de Larcis, damoiseau, qui possédait les mas de Régule et Brandenesches dans la paroisse de Saint-Laurent-de-Muret, en Gévaudan. Une autre charte gévaudannaise datée de 1372 cite noble Amyot Rigal, fils et héritier de Bonnefousset, propriétaire du mas de Feneli, paroisse de Lanuejols. Ces chartes ont été enliassées par les archivistes de la Lozère avec d’autres documents concernant notre famille. L’Histoire du prieuré de Sainte-Éminie, de Ferdinand André, évoque l’hommage rendu au prieur du lieu en 1482 par Jean de Rigal, damoiseau. Il existait également une famille Rigal à Saint-Urcize, dès le XVème siècle. En 1414 en effet, Estève Rigal louait la montagne du Bouyssou à l’abbaye d’Aubrac. On trouve également Durand Rigal, tenancier de terres du prieuré de Saint-Urcize, ou encore Jean Rigal, vivant à la fin de ce siècle. Des origines flamboyantes. L’histoire de notre famille débute véritablement sous le règne de Louis XII, surnommé le « père de son peuple » par les États Généraux de 1506, il doit aussi sa popularité aux circonstances. Réducteur de la taille, grâce aux richesses accumulées lors des campagnes d’Italie, codificateur des coutumes et paré de l’auréole du roi justicier, il a eu la chance de régner à une époque de transition bénéfique à la France, marquée par le retour à la prospérité économique en Europe, l’éloignement des armées hors des frontières et donc la paix à l’intérieur et l’accroissement de la population qui recueille les fruits du progrès technique et du développement des échanges. Notre plus ancien aïeul connu, Guillaume Rigal, vivait en 1507 à Farreyrolles, une pagésie située dans la paroisse de Saint-Rémy, près de Chaudes-Aigues. Guillaume était qualifié de prudent homme en 1530, ce qui indique qu’il s’agissait d’un notable de la région. Ainsi, le 12 juin 1507, Guillaume Rigal reconnaissait tenir « toute une pagésie, boriade et affar appelé de Ferreiroles, situé dans ladite paroisse de Saint-Rémy, où il y a maisons, chazals, granges, jardins, prés, champs, bois, devèses, pascages, pasturages, regains, eaux, fontaines, ruisseaux, rivages, et autres terres cultes et incultes, hermeses ou boscages, confrontants de divers endroits, scavoir d’une part et du fonds avec l’eau de Bès et d’autre part avec l’affar d’Alteirac et d’autre part avec les terres et possessions de Deux-Verges et d’autre part avec le chemin ferrat par lequel l’on va du lieu de Maurines vers La Roche de Canilhac et d’autre part avec les terres des villages des Forches et del Salhens ». Farreyrolles, situé en province d’Auvergne, était juché sur une hauteur à l’à-pic des eaux du Bès, rivière, frontalière de la province de Gévaudan. La demeure semblait être un dernier poste de garde, au fond de la large vallée, avant que le Bès, ayant pris sa source sur les plateaux de l’Aubrac, ne s’enfonce dans des gorges infranchissables en direction de la châtellenie de Saint-Juéry. Jadis, une place forte avait fait face au domaine, sur la rive gévaudannaise, à l’emplacement du hameau d’Échalouppes. Le domaine de Farreyrolles faisait partie de la mouvance du château de Saint-Juéry, depuis au moins 1259. A cette dernière date en effet, Isabeau de Saint-Juéry, fille de Pierre, rendait hommage au baron de Mercoeur, pour le mas de Farreyrolles et ses dépendances. Isabeau de Chaliers renouvelait cet hommage en 1334, et son fils, Godefroy de Chaliers, faisait de même en 1338. Le domaine, se retrouvait, vers 1290, aux confins du mandement du château souverain de Saint-Juéry, auquel il appartenait, du mandement de Saint-Urcize (dont les terres allant de la Faye Farreyre jusqu’au Bès et remontant jusqu’au mas de Fraycenos (Fraissinoux), furent rachetées par le seigneur de Saint-Urcize), et de la seigneurie du Couffour. Guillaume était donc propriétaire de la tenure, ce qui lui permettait de jouir des revenus du domaine. En contrepartie, il devait au seigneur de Saint-Juéry un cens annuel de seize sols tournois, « payables et portables annuellement au lieu de Saint-Juéry à la feste des saints Simon et Jude et Roch ». Notons que le 26 avril 1266, le Dom de l’hôpital d’Aubrac rendait hommage au seigneur de Saint-Juéry. La cérémonie eut lieu à Farreyrolles, ce qui atteste de l’importance du lieu à cette époque. Farreyrolles est une forme diminutive de farreyre. Au XIIIème siècle, on nommait l’actuel Bois de Farreyrolles (ou Bois Grand) la Faye Farreyre, ce qui signifie la hêtraie de Farreyre. Selon les dictionnaires des noms propres, ferreire ou farreire, nom assez répandu, évoquerait la présence d’un lieu où l’on travaille le fer, ou le lieu de résidence d’un maréchal-ferrant. Notons cependant que dès les années 1000-1100, une famille portant le nom de Farreyre, probablement originaire de la région de Saint-Flour, possédait des mas sis dans la paroisse de Saint-Rémy. On y retrouvait alors trois générations : Géraud de Farreyre, Etienne son fils, et Amblard son petit-fils. Ils auraient donc laissé leur nom à l’un de ces mas. Malheureusement, nous perdons ensuite toute trace de cette famille. On ne sait donc pas précisément qui occupait les lieux avant 1507. Cette année-là Marguerite Senrane, dame de Saint-Juéry, mettait à jour le terrier de son mandement. Elle venait en effet d’hériter de son père, Pierre Senrau. La coutume voulait que les vassaux renouvellent leur hommage à chaque renouvellement de seigneur. Guillaume Rigal, qui devait alors avoir une trentaine d’années, rendit hommage, dans l’enceinte du château de Saint-Juéry, pour ce qu’il possédait à Farreyrolles. Il est probable que son père vivait avant lui à Farreyrolles, mais son nom ne nous est pas parvenu. Guillaume avait épousé, avant 1524, Louise de Peyre. Elle était la fille de noble homme Georges de Peyre, écuyer, habitant à Aumont, et de noble et honnête femme Dauphine Aerre (cette dernière était la fille d’Aldebert, seigneur de Saint-Colombe, et de Béatrix d’Ancet). Georges de Peyre ne figure pas dans les généalogies des barons de Peyre. Aumont était cependant tout proche de l’impressionnante forteresse où régnait alors Astorg XV le Grand, baron de Peyre. Ce seigneur n’aurait sûrement pas permis à d’autres que des membres de sa famille de porter son nom. On peut donc penser que Georges lui était apparenté et qu’il était un cadet ou un bâtard de Peyre. Les noces avec une demoiselle de Peyre constituaient pour Guillaume une indéniable ascension sociale, puisqu’il cousinait désormais avec l’un des plus riches et puissants barons du Gévaudan. On peut penser en outre que la dot fut à la hauteur des origines illustres de la future épouse. Pour couronner le tout, Louise fut nommée héritière universelle de son père, le 13 janvier 1524 (testament passé devant Jean Trocel, notaire à Aumont). Ses deux sœurs, Charlotte et Béatrix, religieuses, n’eurent droit qu’à un anneau d’or « au poids d’un ducat », et Antoine, son frère, se contenta de 40 livres de legs. Ce testament, dont nous n’avons qu’une copie partielle datant du XVIIème siècle, et quelques notes du chanoine Remize, est très surprenant et laisse penser que le fils de Georges était incapable. On retrouve d’ailleurs des cas similaires de successions à plusieurs reprises dans la famille des barons de Peyre. Guillaume Rigal régla, en 1530, un litige qu’il avait depuis longtemps avec Bernard Bère, d’Échalouppes (paroisse de Chauchailles), concernant les droits sur un moulin appelé La Vernède, situé le long du Bès. Cet accord annulait une première transaction passée entre Guillaume, Guillauma Mercadieyre (peut-être sa mère) d’une part, et défunt Johan Bère, vivant père de Bernard. Désormais, Guillaume ne porterait plus son blé à moudre audit moulin, comme il l’avait fait jusqu’alors, sans payer le droit de mouture. En contrepartie Bernard Bère ne pourrait plus « jouir d’aucun droit, faculté, action, servitude, acte, accès ou autre droit quelconque [.] dans les bois appartenant audit Rigal ni moins aménager soit édifier quelque artifice en ladite rivière [le Bès] ni les étendre dans le bois dudit Rigal ». En 1536, Guillaume Rigal renouvelait sa reconnaissance pour ce qu’il possédait à Farreyrolles, et payait également un cens pour un pré situé à Fraissinoux, paroisse de Chauchailles. Il l’avait acquis à Guillaume et Jehan Granal, Guillaume Raulhac, Jehan Dumas, au clavaire de Marvejols et à Robert Pécol. On sait que Guillaume eut un fils, prénommé Pierre, qui épousa la fille même des seigneurs de Saint-Juéry : Jacquette d’Alibert ou d’Aribert. Le contrat de mariage fut passé devant Me Podevigne, probablement notaire à Saint-Urcize, le 12 juin 1545. Jacquette était la fille de Claude et de Marguerite Senrane. Guillaume sut parfaitement mener sa politique matrimoniale, ainsi que ses affaires. Il transigea avec sa belle-mère, le 14 juin 1548, devant le même notaire, malheureusement ce document, qui ne doit pas manquer d’intérêt, ne nous est pas parvenu. Guillaume et son fils y sont alors qualifiés tous deux d’écuyers, ce qui suppose qu’à cette même époque, Guillaume se vit concéder en fief le domaine de Farreyrolles (plus de 200 hectares), qui était jusques là une tenure roturière. Ses beaux-parents, en mal de subsides, lui cédèrent très probablement ce droit, moyennant finances, ce qui était une pratique assez courante. Dès lors, les Rigal devinrent seigneurs de Farreyrolles, et s’agrégèrent à la noblesse. Cet acte parachevait l’ascension sociale exceptionnelle de Guillaume ; notable, mari d’une héritière d’une maison de haute noblesse, beau-père de la fille de ses seigneurs suzerains puis lui-même noble, seigneur du fief qui l’avait vu s’épanouir, et peut-être naître. La possession de fief est primordiale pour une famille noble. A l’origine le noble était tenu de défendre militairement son fief mais ce devoir tomba en désuétude avec l’installation d’une paix durable. Il en reste que sous l’Ancien Régime un noble ne peut exercer métier autre que celui des armes. Le seigneur de Farreyrolles fut d’ailleurs appelé au ban de 1543 par le sénéchal d’Auvergne. Les comparants sont alors tenus de financer leur équipage, et s’ils ne peuvent répondre à l’appel, payer une taxe. Le fief est bien souvent la seule source de revenus du noble. Il loue ses terres et ses domaines à des fermiers. Les contrats d'afferme sont en général signés pour trois ans et les payements se font une fois par an, en argent et en nature. Le seigneur peut également appliquer diverses taxes sure ses terres. Les montants des sommes dues et les noms des fermiers et contribuables sont enregistrés sur un document nommé terrier. Ce précieux registre est en général mis à jour à chaque mutation de seigneur. On sait qu’un terrier de Farreyrolles fut établi en 1554 par Me Podevigne, notaire à Saint-Urcize. Il fut certainement commandé par Pierre de Rigal, suite au décès de son père. On suppose qu’à cette époque, les Rigal se firent construire à Farreyrolles une demeure digne de leur rang, probablement dans le style des maisons fortes que l’on trouve fréquemment dans la région. Pour preuve, on remarque encore aujourd’hui, dans l’escalier du château, des linteaux de porte taillés en accolade caractéristiques. Cependant, nous n’avons aucune description du château antérieure au XVIIème siècle. Autre vestige de cette époque, une belle croix de lave scellée sur granit, à quelques pas au Nord de l’actuel château (elle se trouvait à l’origine à l’entrée de la cour du château), datant vraisemblablement du XVème siècle. Sa face Ouest, abîmée lors d’une chute, représente le Christ, et sa face Est, une Vierge à l’enfant. Revenons un instant aux seigneurs de Saint-Juéry. Claude Aribert, dont le père était homme de droit à Laguiole, avait épousé l’héritière des seigneurs de Saint-Juéry, Marguerite Senrane. Le père de cette dernière, Pierre Senrau, avait acquis en 1502 le château souverain de Saint-Juéry de Pierre de Pradines. La seigneurie était alors divisée en deux ; le château souverain, construit sur une île au milieu du Bès, se trouvait dans la province d’Auvergne, alors que le château de Belvezeix était en Gévaudan et appartenait aux Belvezet de Jonchères. Les deux seigneuries seront réunies en 1670 par un descendant des Aribert, Jean-Rigal de Scorailles, marquis de Roussille, père de la célèbre duchesse de Fontanges. La famille Aribert paraît avoir été bien turbulente. En effet, Claude Aribert, participa, vers 1540 à Chaudes-Aigues, à l’assassinat de Bernard d’Aulteroche, avant de provoquer, sept ans plus tard, François d’Aulteroche, jeune frère du malheureux. Le combat s’engagea, mais Aribert pris la fuite après avoir reçu deux ou trois coups d’épée. François d’Aribert, beau-frère de Pierre de Rigal, prit possession du château de Saint-Juéry en 1586. Pour l’occasion, on donna une messe dans la chapelle castrale. Lors de l’Évangile, un homme en armes ayant voulu mettre l’épée nue, ainsi que l’ordonnait l’étiquette, blessa accidentellement le maître au front. Beaucoup de sang coula, et Aribert devint très pâle. Comme on craignit une syncope, le sommelier se précipita hors du sanctuaire, pour aller quérir de l’hypocras (liqueur à base de vin, d’aromates, d’épices, de miel, d’eau et de fines particules d’or). Il paraît que l’indisposition d’Aribert passée, l’office continua. Il eut de Guillemine de Fontanges, son épouse, trois enfants, dont aucun ne survécut. La seigneurie de Saint-Juéry passa alors au neveu de Guillemine, Pêtre-Jean de Fontanges, qui fut également un proche des Rigal. La période troublée des guerres de Religion. Presque aucun document concernant Pierre de Rigal ne nous est parvenu. Il est vrai qu’il vécut en pleines guerres de Religion, et que lors de cette période agitée et sanglante, nombre de documents furent détruits. Après le calme du XVème siècle et l’essor économique qui l’accompagnait, les luttes religieuses ramenèrent la désolation et la ruine. Dès 1540, la Réforme s’est répandu en Aubrac. François Astorg de Cardaillac, baron de Peyre, champion du protestantisme, se rend maître en 1562 de la région de Saint-Urcize, puis Chaudes-Aigues tombe à son tour aux mains des huguenots en mars 1568. Le baron de Peyre sera assassiné au Louvre durant la nuit de la Saint-Barthélemy. Devant la recrudescence des attaques calvinistes en Aubrac, Jean de Beaufort-Canilhac, gouverneur de la Haute-Auvergne, prend des dispositions pour renforcer les défenses de son fief. En 1576, les catholiques décident de former une Ligue pour la défense de la religion et se retournent contre le roi Henri III deux ans plus tard. Le pays est alors ravagé par une lutte tripartite entre royalistes, calvinistes et ligueurs. Dans la prévôté de Saint-Flour, toutes les villes sont ligueuses sauf Chaudes-Aigues. Le seigneur de la Roche-Canilhac et Philibert d’Apchier deviennent tour à tour chefs de la Ligue. Au mois d’août 1591, les royalistes font irruption dans la baronnie de Saint-Urcize, puis le 3 avril 1594, un accord ramène la paix après plus de trente ans de guerres civiles, dont la région a eu particulièrement à souffrir. On ne sait ce qu’il advint précisément à Farreyrolles, ni dans quel parti était entré notre famille. Leurs liens avec les Peyre étaient semble-t-il assez étroits, puisqu’au siècle suivant les Rigal affichaient ouvertement leur parenté avec cette famille protestante. C’est durant cette époque très troublée que Pierre décéda. Par testament du 27 juin 1587, rédigé devant Me Moisset, il laissa l’administration de ses trois enfants et de ses biens à son épouse. Ses deux fils, Antoine et Gabriel, déjà majeurs, n’étaient pas encore mariés. Leur mère devait désormais faire face, non seulement aux irruptions de soldats de tous bords sur ses terres, mais aussi au choix crucial de leurs alliances, par lesquelles se jouait l’ascension sociale d’une famille. Il y avait aussi à craindre pour la pérennité du nom de famille. Il semble qu’Antoine, l’aîné, ne se maria pas et n’eut pas de postérité. Leur fille, Marguerite, avait épousé monsieur de Boyer, sieur de La Combe, près Antérrieux. Marguerite décéda, veuve, en 1633. Elle eut au moins un fils, qui laissa une descendance. On retrouve en effet, dans les années 1680, noble Gilbert de Boyer, sieur de La Combe, veuf de dlle Louise de Chaudesaigues (fille et héritière de Me Louis de Chaudesaigues, sieur de Longeval), qui vivait aux Verniolles, paroisse d’Antérrieux. Il possédait également une maison située dans la ville de Chaudes-Aigues. Gilbert de Boyer appartenait à la bourgeoisie de cette ville. Malheureusement, Jacquette d’Aribert mourut à son tour, sans voir se réaliser le fabuleux mariage de son fils puîné, Gabriel. Agé de près de 50 ans, il épousa (sur le tard !), le 14 juin 1607, Anne d’Apchier, fille de défunts Louis, seigneur de Lodières, près Faverolles, et d’Anne de Rochefort. La noce eut lieu dans la grande salle du château de Lodières, en présence d’Étienne d’Apchier, sieur de Fontblanc, Louis d’Apchier, son frère, François de Léothoing, sieur de Puyfrançois, François de Lespinasse, sieur du Bouchet, et d’honorable homme Guyon de Saint-Juéry. Le jour même, Gabriel de Rigal, assisté de son frère aîné, signait le contrat de mariage préparé par Me Maury. La future épouse, ses deux parents étant alors décédés, était assistée de son frère, Antoine d’Apchier, seigneur de Chabreughol et Bournoncle. Ce dernier donna 2600 livres aux époux. Quant à Antoine, il déclara donner tous ses biens à l’aîné des garçons à naître de ce mariage. Cette alliance représentait un véritable tour de force. En effet, elle intervenait quelques années après les luttes fratricides des guerres de religion. Les Rigal, affiliés aux Peyre protestants, se réconciliaient avec les d’Apchier ultra-catholiques. Ces noces marquaient l’apogée de la réussite sociale de notre famille. Gabriel en était parfaitement conscient. Il décida de porter désormais les armoiries de la maison d’Apchier, et ce, bien entendu, avec l’accord de son beau-frère. Jusqu’alors les armoiries des Rigal étaient d’azur, à la fasce d’or, chargée d’une corneille naissante de sable becquée et membrée de gueules. On y ajouta, en mi-parti, les armes d’Apchier qui sont d’or au château de gueules, maçonné et ajouré de sable, à la tour du milieu plus élevée et accostée de deux hallebardes d’azur. Ce sont ces armoiries que présentera le fils de Gabriel, lors de la recherche des preuves la noblesse ordonnée par Louis XIV en 1666. Cependant, les Rigal conserveront, dans le même temps, l’usage d’un sceau dont les armoiries figurent une aigle éployée, identique aux armes de l’ancienne maison de Peyre. Ils revendiquent ainsi, dans chaque document officiel scellé à la cire écarlate, leur appartenance à cette antique famille et l’héritage qu’ils se doivent de transmettre. Le temps de la noblesse frondeuse. En ce début du XVIIème siècle, Gabriel de Rigal est lié avec la noblesse plus ou moins agitée du pays. Parmi eux, Pêtre-Jean de Fontanges est très présent. Sa tante, Guillaumette, avait épousé François Aribert, lui-même oncle maternel de Gabriel. Monsieur de Fontanges avait en conséquence hérité de la seigneurie de Saint-Juéry en 1603. C’est alors que se produisit une affaire de rapt, qui pendant trois mois, mit en effervescence toute la gentilhommerie de Haute-Auvergne. La fille unique de Pêtre-Jean, Guilhemine de Fontanges, fut enlevée par Louis de La Volpilière, seigneur de Colombier. Celui-ci la courtisait mais se heurtais au refus catégorique de Pêtre-Jean. Puis, dans la nuit du 10 juillet 1607, ce dernier est kidnappé à son tour par le prétendant, violenté et séquestré d’abord à Neyrebrousse, puis dans son château ancestral de Pierrefort. Tout cela se produisit avec la complicité de l’épouse de Pêtre-Jean, Jeanne de La Roue. Rapidement, le procureur du roi, accouru d’Aurillac, le vice-bailli et ses archers, et de nombreux parents et amis de l’infortuné assiégèrent le château 12 jours durant. La Volpilière, se voyant perdu, prit la fuite, la mère et la fille furent mises aux arrêts. Cette affaire avait pris des proportions telles qu’Henri IV mit en place une juridiction exceptionnelle. Malgré cela, La Volpilière fit deux autres tentatives d’enlèvement, en 1614 et 1616. Pour parer à ce dernier complot, Pêtre-Jean fit transférer sa fille, par convoi armé, au château de Saint-Juéry où il organisa son mariage avec un cousin, Louis d’Escorailles. Ces mésaventures ruineuses mirent à mal les finances de Pêtre-Jean. Celui-ci emprunta d’importantes sommes à ses amis et parents. Il vendit nombre de possessions avec promesses de rétrocession. Ainsi, Gabriel de Rigal lui acheta, durant cette période de troubles, les rentes sur les seigneuries et terres de Croupière, La Quérie, Reudieu, La Mésonade, Brounel, Laborie de La Capelle, Melférier de Boudy et de La Vèze. Tous ces lieux sont proches de l’actuelle commune de Raulhac. Le chartrier de Cropière recense les nombreuses transactions passées par le seigneur de Fontanges : il traite avec les seigneurs de Montvallat et la bourgeoisie de la ville de Chaudes-Aigues. Le seigneur de Farreyrolles y prend bonne place. A partir de 1612, Gabriel de Rigal lui rétrocède chaque propriété, une à une, avec, comme on peut l’imaginer, une plus-value substantielle. En 1624, un ultime accord passé à Saint-Juéry entre les deux hommes vient clore cet emprunt déguisé. Ces bonnes affaires resserrent les liens entre les Rigal et les Fontanges. Pour preuve, Pêtre-Jean de Fontanges sera le parrain du second fils de Gabriel, et, comme le voulait la coutume, lui donnera son prénom si caractéristique. La version francisée de ce nom, Pierre-Jean, sera portée par des générations de Rigal en mémoire de cette amitié. Les années passèrent, puis dans l’hiver 1633, Gabriel, alité et mourant, fait appeler à son chevet son notaire, Me Filhon. Il lui dicte ses dernières volontés. Le seigneur de Farreyrolles souhaite être inhumé dans l’église de Saint-Rémy, tombeau de ses prédécesseurs. Après 26 ans de mariage, il laisse sa veuve et pas moins de huit enfants ! Les legs sont impressionnants. Ses fils cadets, Pêtre-Jean, Gabriel, François et Jean, recevront 600 livres chacun. Il promet 1200 livres à chacune de ses filles Claude, Louise et Jeanne. Ces legs leurs seront versés dès qu’ils atteindront l’âge de 25 ans, ou dès leur mariage, pour les filles. Seul Pêtre-Jean, qui se destine à une carrière militaire, peut disposer de son legs dès qu’il le souhaite. Selon la coutume, Gabriel nomme pour héritier général, son fils aîné, Louis. Celui-ci avait reçu le prénom de son grand-père maternel, Louis d’Apchier, seigneur de Lodières. Son oncle maternel, autre Louis d’Apchier, l’avait probablement porté sur les fonts baptismaux. Son père, qui l’appelait à lui succéder à la tête de la seigneurie de Farreyrolles, l’associait depuis quelques années à ses affaires. Ainsi dès 1630, Louis, tout juste majeur, est invité à signer les actes notariés avec son père. Il se qualifie alors seigneur de Saillans. C’était le nom d’un hameau situé au Sud du domaine de Farreyrolles, en surplomb du pont de Chaldette, non loin du village des Fourches. Une maison, à l’architecture très fortement remaniée, existe encore à cet emplacement. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, tous les fils aînés des seigneurs de Farreyrolles recevront le titre de seigneurs de Saillans. Louis, aurait été promis à un avenir radieux, si un coup de tonnerre n’était survenu en juillet 1632. Il se trouve en effet que son père avait contracté, depuis plus d’une dizaine d’années, une dette de 6000 livres, auprès de François de Montvallat, seigneur de Bonnecharre et de Saint-Juéry. Excédé et assoiffé de profit, le puissant seigneur de Bonnecharre fit irruption à Farreyrolles accompagné d’un sergent royal, Pierre Jalbert, et procéda à la saisie du domaine ainsi que celui des Fourches. S’en suivit une guerre ouverte entre les deux hommes. Le décès de Gabriel survint alors que ses domaines, uniques sources de revenus de sa famille, étaient hypothéqués. Prudemment, sa veuve et ses héritiers n’acceptèrent sa succession qu’après avoir inventorié l’ensemble de ses biens. Comme prévu, à peine la période de deuil passée, François de Montvallat, s’acharna contre Anne d’Apchier, alors tutrice de sept enfants mineurs, et contre Louis de Rigal. L’affaire fut portée devant le sénéchal d’Auvergne. Ce dernier condamna Louis à rembourser une somme totale de 9000 livres comprenant le capital et les dommages et intérêts. Cette sentence fut confirmée en janvier 1635 par le Parlement de Paris. Un accord fut finalement trouvé au château de Saint-Juéry, le 25 novembre 1637. Le seigneur de Farreyrolles sauvait ainsi son patrimoine, moyennant une rente perpétuelle et annuelle de 300 livres, plus 15 charretées de bois de chauffe à prendre dans le bois de Farreyrolles et à livrer au château de Saint-Juéry. Comme si ces difficultés ne suffisaient pas, le sort avait doté Louis d’une faible santé, au point qu’à peine âgé de 35 ans, il rédigeait son testament. Il décéda entre 1637 et 1654 sans laisser de postérité, et probablement sans même s’être marié. Il légua tous ses biens à son jeune frère, Pêtre-Jean, et par substitution à tous les descendants mâles de la famille. Pêtre-Jean de Rigal, fils cadet de Gabriel, n’était à priori pas destiné à lui succéder à la tête de la seigneurie de Farreyrolles. Il s’était lancé dans une carrière militaire qui fut assez agitée. Il fut lieutenant au régiment d’Urfé en 1636, avant d’entrer au régiment du sieur de Galian en 1637. Cette année-là il fut estropié du bras droit pendant le service. Cette blessure ne l’empêcha pas, l’année suivante, de s’engager comme volontaire dans l’armée du turbulent Henry II de Bourbon-Malauze, comme l’atteste un certificat du 5 octobre 1639. Ce dernier était filleul du roi Henri IV, qui eut du mal à ramener ce chef de guerre au catholicisme. Bourbon-Malauze n’abjura la réforme qu’à la fin de ses jours, en 1649. En remontant du Languedoc à Fontainebleau, le cardinal de Richelieu fit étape le 28 août 1629 entre Laguiole et Chaudes-Aigues. Il alors pu se rendre compte de l’esprit d’indiscipline des seigneurs locaux et de leurs mœurs violentes, survivance des temps de la Ligue. Il n’avait pu, sans inquiétude, apercevoir, dominant les vallées abruptes, d’innombrables châteaux ou maisons-fortes, dont la démolition avait été demandée depuis 1627, toujours debout, menace permanente contre la tranquillité du Royaume. Non content de cette épopée militaire, Pêtre-Jean fréquenta le marquis de Canillac, surnommé Canilhac le Fou, dont il était procureur en 1656. Le marquis passait son temps, entouré d’une garde personnelle de valets plus brigands que domestiques, à maltraiter les paysans. Il sera condamné à mort, pour ses méfaits, lors des Grands Jours d’Auvergne, mais le vieillard connaîtra une fin paisible à Barcelone, où il s’était réfugié. Sa condamnation s’accompagnera de la confiscation de ses biens, d’amendes, et de la destruction immédiate de ses trois châteaux : La Roche-Canillac, Saint-Urcize et Champeix. Seule cette dernière sentence sera exécutée. Les Grands Jours d’Auvergne marquèrent une reprise en main du pouvoir royal par Louis XIV. Les nobles frondeurs de la province furent alors jugés à Clermont, dès septembre 1665. Les condamnations prononcées contribuèrent à un affaiblissement de toute une partie la noblesse de la région, dont les revenus fonciers étaient déjà bien faibles. L’année suivante, le roi ordonna à ses intendants de procéder à la recherche des faux nobles, qui pullulaient sur tout le territoire. Les derniers irréductibles furent ainsi mis au pas, et nombre de provinces pacifiées. Ainsi, Pêtre-Jean de Rigal, qui s’était déjà retiré dans ses terres, fut sommé de produire ses preuves de noblesse, ce qu’il fit, non sans fierté. Le 5 juillet 1669, Pêtre-Jean rendit hommage au roi « pour raison de la terre et seigneurie de Fareyrolles avec les vilages des Fourches et Salians, centz, rantes et tous autres droicts seigneuriaux en dépendant en toute justice haute moyenne et basse à luy apartenant par droict sucesif de Louis de Rigal Escuier son frère asise dans la parroisse de Sainct Remize mouvant et retenant en fief de sa Majesté à cause de sa vicomté de Murat ». Ainsi, entre 1536, année du dernier hommage connu aux seigneurs de Saint-Juéry, et 1669, la seigneurie de Farreyrolles a été détachée du mandement de Saint-Juéry, et ressort désormais directement du roi. Pêtre-Jean épousa, le 22 juin 1648, Françoise de Devèze, originaire de la paroisse voisine Lacalm, en Rouergue. Il n’en eut pas d’enfants. La dot fut fixée à 4700 livres. Françoise était fille de Jean de Devèze, seigneur de Montfol, et de Catherine d’Humières qui appartenait à une ancienne maison auvergnate. Au cours des années 1660-70, le seigneur de Farreyrolles et son épouse élirent domicile à Fraissinoux, paroisse de Chauchailles, en Gévaudan, à un jet de pierre de Farreyrolles. On peut donc se demander qui occupait le château durant cette période. Ce qui est sûr, c’est qu’en 1674 Pêtre-Jean, alors âgé de 66 ans, était définitivement installé au château. Gabriel et Anne d’Apchier avaient eu huit enfants ; Louis, Pêtre-Jean dont nous venons de parler, Gabriel, François, Jean, Jeanne, Claude et Louise. On sait que Gabriel et François, nés après 1608, décédèrent sans postérité, après avoir nommé pour héritière leur sœur Claude. Jeanne épousa, avant 1673, un bourgeois de Chaudes-Aigues, Me Guillaume Bonniol (décédé entre 1676 et 1683). Elle eut deux enfants, dont un fils prénommé Jean, et décéda entre 1685 et 1695. On ne sait pas quelle fut la destinée de Louise, qui vivait en 1633, elle était alors âgée de moins de 25 ans. Claude de Rigal épousa un bourgeois de Recoulès, en Gévaudan, Me Durand Vialard. Le contrat de mariage fut passé le 29 novembre 1633 devant Me Valette. Une dot de 800 livres fut promise aux époux, mais ne fut jamais versée. Les Vialard n’en restèrent pas là. Me David Vialard, fils des époux, Avit Vialard petit-fils, puis Me Antoine Vialard, vivant à Pierre Besse, paroisse de Recoulès, arrière-petit-fils, ne cessèrent de réclamer la précieuse dot. En dépit d’une sentence rendue par le sénéchal d’Auvergne en 1741, le seigneur de Farreyrolles ne lâchait pas un sol. Finalement, en 1765, les huissiers eurent raison de Pierre-Jean III de Rigal, petit-neveu de Claude, qui fut sommé de payer les 800 livres, assortis de 2128 livres d’intérêts ! L’aventure gévaudannaise. Jean de Rigal, troisième fils de Gabriel et d’Anne d’Apchier, n’avait pas non plus d’avenir à Farreyrolles. Il était en effet au troisième rang dans l’ordre de succession à la seigneurie, et même si son frère aîné, Louis, avait une santé fragile, Pêtre-Jean était parfaitement en mesure de reprendre le flambeau en cas de malheur. Dans ces conditions peu favorables à son épanouissement personnel, Jean choisit de s’installer dans la ville de Mende, en Gévaudan. Pour encore mieux marquer sa différence, il prit le titre de sieur de Peuch-Martin. A quoi le Peuch-Martin pouvait-il correspondre ? Ce lieu-dit de la paroisse de Saint-Rémy-de-Chaudesaigues est mentionné, dans le dictionnaire topographique du Cantal, comme étant une montagne à vacherie. On relève sur le plan cadastral établi en 1833 quatre parcelles contiguës nommées Puech Marty d’une contenance d’environ 24 hectares, situées à quelques dizaines de mètres au Sud du château de Farreyrolles, et formant un promontoire face au hameau d’Échalouppes. On ignore la raison de l’attachement de Jean de Rigal à ces terres ; toujours est-il que nombre de ses descendants firent inscrire, tout au long des siècles, le surnom de Piémarty dans leurs actes d’état-civil. Le sieur de Peuch-Martin, d’un caractère moins guerrier que son frère aîné, s’investit assez rapidement dans la vie politique de Mende. Étranger à la ville et venu de la province d’Auvergne voisine, il sut tisser, en quelques années, des liens solides avec la bonne société mendoise. Ainsi, François de Mirmand, baron de Florac, lui demanda de le représenter aux États du Gévaudan de 1656. Jean de Rigal assista à cette assemblée annuelle jusqu’en 1659, en tant que représentant de la ville de Mende. Le 21 décembre de la même année, le sieur de Peuch-Martin fut élu premier consul de la ville, preuve d’une certaine notoriété. Cependant, la colère grondait dans la cité depuis plusieurs années. L’évêque, Silvestre de Crusy de Marcillac, un ancien guerrier, officier supérieur qui avait commandé au siège de La Rochelle, avait été appelé au siège de l’évêché en 1629, en récompense de sa bonne conduite au siège. Ce prélat écarta définitivement les huguenots et leurs menaces permanentes envers la ville de Mende, puis lança la reconstruction de nombreux édifices civils et religieux détruits par des décennies de guerre, au prix d’impositions de plus en plus excessives. Peu tolérant, désireux de s’associer à la politique de Richelieu qui le comblait de ses faveurs, Marcillac fut loin d’apaiser, par sa conduite, les troubles qui menaçaient d’éclater dans le diocèse. Un contemporain, le père Jean L’Ouvreleul explique dans ses notes « qu’il se forma deux partis, dont les uns soutenaient les intérêts du Prélat étaient appelés Marmeaux, et les autres qui défendaient la liberté de la ville se nommaient Catarinots. Ces différentes prétentions causèrent des troubles, des haines, des inimités, des querelles et des batteries. Les catarinots marchaient armés de gros bâtons et frappaient les Marmeaux qu’ils rencontraient. Il se fit des libelles diffamatoires, des vers satyriques et des chansons outrageuses de part et d’autre ». Aux États de 1639, l’évêque se présenta accompagné de 5 ou 600 hommes d’armes, pour couper court à toutes les plaintes.. En 1640, ses ennemis, dont le sieur de Morangiès et le baron de Peyre, le citèrent devant le Parlement de Toulouse à raison de plusieurs excès et violences, impositions et levées de deniers abusifs. Ainsi, sous le consulat de Jean de Rigal, le montant de l’impôt royal fut fixé à 18542 livres, soit une augmentation de 19% par rapport à l’année précédente. De graves incidents s’en suivirent lors de l’élection des consuls en décembre 1657. En vertu d’un arrêt du Parlement de Toulouse, les factieux, voulant rendre le consulat libre et indépendant de l’évêque, firent élire, avec force, violence et à main armée, trois nouveaux consuls, sans l’accord du prélat. Ce dernier refit prêter serment aux consuls installés l’année précédente, et porta l’affaire au Conseil d’État. Finalement, le Conseil ordonna, en mai 1659, la maintenue de Jean de Rigal, jusqu’au règlement définitif du conflit par les États du Gévaudan. Le jeune Louis XIV fit envoyer des troupes à Mende, afin d’y faire maintenir le calme. Toutefois, la mort de Marcillac, en 1659, apaisa les esprits. On imagine que le sieur de Peuch-Martin, comme tous ceux qui avaient servi l’évêque défunt dans ses manœuvres, se retrouva dès lors dans une situation délicate, d’autant plus qu’il avait engagé ses propres deniers dans cette affaire. Aussi, jusqu’en 1662, il demandera des dédommagements parce qu’il « a souffert plusieurs domaiges et inthérests en sa personne et biens, pour avoir adhéré aux deslibérations de ceste assemblée [États du Gévaudan] et qu’il a payé divers rapports et espices des arrêts, intervenus en la cour de Parlement de Tholoze ». Quelques années plus tôt, on avait présenté à Jean de Rigal une jeune veuve issue d’une famille fortunée, dlle Jeanne de Lescure. Celle-ci avait épousé, en premières noces, Me Jean de Jean, docteur ès droit, fils d’autre Jean, docteur et avocat, consul de Mende en 1616, puis lieutenant de la justice ordinaire de la ville en 1635. Aucun enfant n’étant issu de cette première union, Jeanne hérita des appartenances de Conroch et Fraissenet, fiefs situés dans le hameau de Méjantel, paroisse de Barjac, toute proche de Mende. Jeanne était la quatrième fille de Robert de Lescure, alias Robert Escurette, et de Jeanne de Pépin. Robert de Lescure, seigneur de Combettes (près Estables) et de Rimeyze, était également au service de Marcillac, puisqu’il occupait le poste très lucratif de fermier général des dîmes épiscopales, qui lui permit d’amasser une importante fortune territoriale. Ainsi, il acheta, en 1627, la seigneurie de Rimeyze à Guillaume du Mazel, seigneur du Pivoul, pour laquelle il rendait hommage à l’évêque de Mende en 1634. Le contrat de mariage entre le sieur de Peuch-Martin et la demoiselle de Lescure fut passé devant Me Alary, notaire à Serverette, le 10 février 1654. La demoiselle avait cependant contracté la bagatelle de six mille livres de dettes, que le futur époux, fort épris, s’engagea immédiatement à acquitter. Lors d’une entrevue à Saint-Flour quelques mois plus tard, le jeune époux, à cours de liquidités, se verra remettre par son frère aîné, Pêtre-Jean, la somme promise, « en louis d’or et d’argent, pistolles d’Espaigne, quarts d’iceux et autres espèces ayant cours ». Le sieur de Peuch-Martin avait également, comme nous l’avons vu, accumulé les dettes. Afin de préserver le patrimoine de son épouse, il fit prononcer la séparation de leurs biens, par le sénéchal de Nîmes, en juin 1667. Certains créanciers peu scrupuleux avaient en effet tenté de saisir les biens de la demoiselle. Pour s’éloigner des créanciers, et pour échapper au tumulte de la ville, le couple élut domicile à Méjantel, fief pour lequel, le sieur de Peuch-Martin rendit hommage au nom de son épouse à l’évêque de Mende, Hyacinthe Serroni, en 1672. Jean de Rigal renouvela cet hommage, le 15 octobre 1691, dans la grande salle du palais épiscopal, les mains jointes et à genoux, devant le vicaire général, Sylvestre Chevalier. Durant la même époque, et peut-être pour plus de tranquillité, Jean et son épouse se retiraient fréquemment à Fraissinoux, certains de leurs enfants furent d’ailleurs baptisés dans l’église paroissiale de Chauchailles. Deux garçons et sept filles naîtront de cette union. L’aînée des enfants est une fille prénommée Anne. Nous savons qu’en 1710, alors âgée d’une soixantaine d’années, cette femme au caractère bien trempé semble-t-il, demeurait à Mende, et se faisait appeler Anne de Rigal des Pradel. Elle avait alors porté devant le Parlement de Toulouse un différend qui l’opposait à six paysans des alentours, et s’était autorisé à saisir leurs biens, avant qu’un huissier ne la rappelle à l’ordre. Nous n’avons malheureusement pas d’autres éléments de sa vie probablement bien remplie. La seconde fille, Marie, épousera le 16 février 1699, Pierre Vigan, bourgeois, de la ville de Saint-Chély. La dot se compose d’une somme de 1200 livres, de prés et champs situés à Échalouppes (paroisse de Chauchailles) et de rentes pour un total de 52 livres de capital. Le sieur Vigan reçoit, pour l’occasion, tous les biens de sa mère restée veuve, à condition de la loger, nourrir et entretenir. Le couple aura deux enfants. Trois autres filles, Françoise, autre Françoise et Catherine, décèderont célibataires et sans postérité. Les deux cadettes, Jeanne et Marguerite, à l’instar leur sœur Marie, prendront pour époux des fils de familles bourgeoises. On peut penser que leur père eût préféré choisir des gendres parmi la noblesse du pays, cependant, en cette fin du XVIIème siècle, les mœurs avaient évolué, et les meilleurs partis appartenaient bien souvent à la bourgeoisie aisée, plutôt qu’à la petite noblesse désargentée. Ses filles n’en feront pas moins des mariages des plus convenables. Jeanne épousera, avant 1697, Me Jean Bonicel de l’Hermet seigneur de l’Hermet (paroisse de Balmes), avocat en parlement à Mende et greffier du diocèse de 1734 à 1754. Quand à Marguerite, la cadette, elle épousera, le 21 décembre 1702 à Saint-Rémy, Me Pierre Rougier, notaire royal, de Ladignac paroisse de Chaudes-Aigues. Me Rougier décéda à la fin de l’année 1734. Sans postérité, il testa en faveur de sa veuve, qui vendit l’office notarial en février de l’année suivante. Cependant, Guillaume Rougier frère du défunt, contesta la validité du testament et porta l’affaire devant le sénéchal d’Auvergne qui prononça une sentence, le 23 mai 1737. Les deux fils du sieur de Peuch-Martin et de la dlle de Lescure reçurent le même prénom, Pierre-Jean. Le premier d’entre eux donnera naissance à la branche des Rigal de Farreyrolles, qui s’éteindra lors de la Révolution, alors que de Pierre-Jean II, de 9 ans son cadet, naîtront les Rigal de Peuch-Martin, dont nous sommes issus. Pierre-Jean Ier, qui prit le titre de seigneur de Salians, fit, en 1690, un mariage plein de promesses. Habitant depuis quelques temps la ville de Murat, il épousa Françoise Recodère, fille de Me Jacques Recodère, sieur de Landayrac et de Niespoux, et de dlle Geneviève de Vaissière. Le sieur Recodère, avocat de profession, accumulait les charges (fort rentables) de procureur du roi au bailliage d’Andelat, de Maître des Eaux et Forêts, de juge et prévôt royal de Murat. Quel plus grand honneur, pour ce bourgeois rutilant, que de marier ses filles à la noblesse du pays ! Une dot extraordinaire de 9500 livres fut promise. Pierre-Jean II, à l’instar de tous les cadets de maisons nobles, embrassa une carrière militaire. Le temps des successions épineuses. En l’an 1692, Pêtre-Jean de Rigal, est un vieillard de 89 ans, dont la santé décline depuis plusieurs années. Eu égard à son grand âge, c’est son frère qui répondit à la convocation à Riom pour rendre hommage au roi en 1684. Le seigneur de Farreyrolles fut également excusé pour n’avoir pas répondu à la convocation des bans et arrières-bans de la sénéchaussée en 1689. Les charges de la seigneurie deviennent trop lourdes pour cet homme assagi, mais dont la jeunesse fut des plus ardentes. Le temps est venu pour lui de préparer sa succession. Il pense transmettre le flambeau, non pas à son frère, presque aussi âgé que lui, et qui s’est retiré à Fraissinoux avec son épouse et ses six filles non encore mariées, mais à son neveu, Pierre-Jean Ier. Ce choix est d’autant plus judicieux qu’il permet de soustraire l’immense domaine et ses 14000 livres de cheptel aux regards avides des créanciers du sieur de Peuch-Martin. Ainsi, le 9 septembre 1692, le seigneur de Farreyrolles donne l’ensemble de ses biens à son neveu et filleul, « pour l’amitié singulière qu’il a pour le seigneur de Salien son neveu et pour les agréables services qu’il a receu de luy et espère recevoir à l’avenir ». Le seigneur de Farreyrolles conserve cependant le domaine qu’il possède à Fraissinoux, et réserve également la jouissance du domaine des Fourches pour son épouse, dlle Françoise de Devèze. Cette dernière, qui n’a pas donné d’héritiers à son époux, se voit assurer ainsi un revenu en cas de veuvage. Pêtre-Jean continue cependant de gérer ses affaires, alors que son neveu est reparti quelques temps vivre à Murat avec sa jeune épouse. Au même moment, une crise de subsistance, avec son lot de famines et d’épidémies traverse tout le royaume. En effet, les étés 1693 et 94, exceptionnellement frais et humides, ont entraîné des récoltes catastrophiques. L’Auvergne, province la plus touchée, perd alors un quart de sa population. A l’automne 1693, le seigneur de Salians et son épouse quittent précipitamment Murat pour Farreyrolles, loin de l’atmosphère malsaine d’une ville en période de disette. Ils s’installent dans l’un des deux corps de logis du château, alors que Pêtre-Jean et son épouse occupent le logis principal. L’état santé de Pêtre-Jean s’aggrave brusquement au printemps suivant, il n’est alors plus en possession de ses moyens. Le seigneur de Salians, ayant obtenu l’aval du sénéchal d’Auvergne le 21 mai et de l’ensemble de la famille réunie devant le juge de Chaudes-Aigues la semaine suivante, prend possession de Farreyrolles, des Fourches, et des rentes des Salians dès le 5 juin. Il en informe immédiatement l’ensemble des métayers qui lui rendent compte du cheptel dont ils ont la garde, avec pour témoins deux bourgeois de Chaudes-Aigues et Me Barlier qui enregistre l’acte. Le seigneur de Farreyrolles s’éteindra le 23 janvier 1695, il sera inhumé le lendemain dans l’église paroissiale de Saint-Rémy. Dans les mois qui suivent le décès, Jean de Rigal et sa famille s’installent à leur tour à Farreyrolles. Françoise de Devèze, qui, en ces années de récoltes désastreuses, craint que les revenus du domaine de Fourches soient insuffisants, réclame à son beau-frère la restitution de ses deniers dotaux, à savoir des bagues et joyaux d’une valeur de 300 livres, plus 400 livres de gain de survie. Elle revendique également un legs de 900 livres que lui avait constitué son époux. Le sieur de Peuch-Martin temporise, il lui fait remarquer que sa dot n’a jamais été complètement versée, et qu’en outre elle a largement disposé de ses biens, puisqu’en 1683, elle avait donné 2000 livres à prendre sur sa dot, à son neveu, Jean de Pouzols, seigneur de Campouriez, alors sur le point de se marier. Au fil des mois l’atmosphère se dégrade. La veuve, se sentant mise à l’écart dans cette maison où elle n’a désormais plus sa place, quitte précipitamment le château, emportant avec elle une partie des papiers et titres de son défunt époux. Elle se réfugie à Mur-de-Barrez, chez son neveu, sur les conseils duquel elle engage un avocat d’Aurillac. Le sieur de Peuch-Martin fait appel à Me Jacques Recodère, beau-père du seigneur de Salians, pour tenter de régler le différend à l’amiable. Finalement, ce dernier y parvient, puisqu’en février 1696, la dlle de Devèze renonce à ses droits, et obtient en contrepartie la jouissance de l’intégralité du revenu du domaine des Fourches sa vie durant. Elle accepte alors de restituer les précieuses obligations du défunt seigneur de Farreyrolles. Françoise de Devèze se retira dès lors au château de Rochegrès, paroisse de Lacalm. Elle décèdera à Chaudes-Aigues le 9 août 1701, à l’âge de 72 ans. Comme le veut la coutume, Jean de Rigal prend le titre de seigneur de Farreyrolles. Il fait face, avec le sieur de Salians, son fils, aux quelques créanciers de son défunt frère, qui ne tardent pas à demander remboursements d’anciennes dettes. Le père et le fils multiplient en outre les contrats d’affermes, qui leur assurent un revenu confortable. En 1700, le sieur de Salians fait enregistrer son blason à l’Armorial Général de France, dressé par d’Hozier, généalogiste du roi. Il fait honneur à son épouse, qui lui a déjà donné cinq filles (mais toujours pas de fils), en joignant les armes des Recodère aux armes anciennes des Rigal. En octobre 1701, la santé du seigneur de Farreyrolles et de Jeanne de Lescure se dégrade. Les époux font appeler un ami de longue date, Mre Durand Valette, prieur commandataire de Lieutadès, et lui dictent chacun leur testament. Jeanne, souhaite être ensevelie dans l’église des Carmes de Mende, au cas où son décès surviendrait à Méjantel, où il lui arrivait fréquemment de se rendre. Leur héritier universel est selon la coutume le sieur de Salians, leurs autres enfants recevront des legs particuliers. Le 2 novembre, dans la chambre de Jean de Rigal, les époux remettent à Me Neuvéglise, notaire à Chaudes-Aigues, leurs testaments clos et chacun « couzu de soye couleur d’olive et cachetté de dix cachets de cire rouge aux armes dudit sr de Farreirolles qui sont d’or à un aigle de sable ». Jean s’éteindra le 19 novembre suivant, on ignore la date et le lieu de décès de Jeanne de Lescure. Moins d’un mois plus tard, en pleine période de deuil, le sieur de Salians, sachant que les nombreux créanciers de son défunt père ne tarderaient pas à se présenter, dressa un inventaire des biens et des papiers de son père puis demanda au juge de Chaudes-Aigues l’ouverture du testament. Prudemment, il n’accepta la succession qu’au bénéfice de l’inventaire. Il pria son frère, qui avait pris aux armées le titre de chevalier de Farreyrolles, de le seconder dans la gestion des biens de son père situés en Gévaudan. Ainsi, le 21 janvier 1702, à Chaudes-Aigues, chez le comte de Montvallat, le chevalier recevait toute la confiance et les pleins pouvoirs de son aîné, qui s’engageait à lui remettre tout document utile qu’il trouverait dans les papiers de leur père. Comme prévu, les demandes de remboursement ne tardèrent pas à pleuvoir ! Les biens laissés par le défunt ne suffisaient qu’à peine à payer les dots de ses filles, qui avaient pourtant été calculées très raisonnablement. Anne, Marguerite et Jeanne exigèrent que leur frère leur verse au plus vite leur part de la succession. Craignant de voir ses enfants rentrer en procédure les uns contre les autres, Jeanne de Lescure donna l’ensemble de ses biens à son fils aîné afin qu’il y puise les liquidités nécessaires. Le fruit de la vente du domaine de La Bazalgette permit notamment de solder la dot de Jeanne. Aussi, au mois de novembre 1702, Pierre-Jean réunissait ses sœurs à Mende afin de remettre à chacune d’entre elles ce qui leur revenait de droit. En outre, les revenus de ces terres de hauts plateaux en général très moyennement fertiles, avaient été ces années-là plus que médiocres. Le nouveau seigneur de Farreyrolles dut se résoudre à réduire de moitié les cens qu’il exigeait des tenanciers des domaines des Fourches et des Salians, dont les tarifs avaient été fixés en 1554. Toutefois, la pression financière fut telle qu’entre 1705 et 1709, il fut contraint de vendre à cinq reprises des terres situées dans les paroisses de Saint-Rémy et de Chauchailles, pour un total de 2460 livres. Une autre mauvaise nouvelle parvint bientôt à Farreyrolles. En 1710, alors que se terminait un hiver exceptionnellement glacial, on apprit le décès de Jacques Recodère, beau-père de Pierre-Jean. Le défunt grand maître des eaux et forêts avait en vérité vécu bien au-dessus de ses moyens ; sa veuve fut dépouillée en quelques semaines par une cohorte de créanciers. Le sieur de Salians jugea plus sage de tirer un trait sur les 3500 livres de dot qui lui étaient encore dus et qui auraient été pourtant plus que bienvenus, plutôt que de se lancer dans des procédures coûteuses et à l’issue très incertaine. La dernière succession de cette série, fut de loin la plus préjudiciable pour la famille. Jeanne de Lescure décéda à son tour, laissant ce qui aurait pu être un manne financière : le domaine de Méjantel, les terres et le château de Combettes, paroisse d’Estables, en Gévaudan. Le seigneur de Farreyrolles vendit dès 1713 le domaine de Méjantel pour 4000 livres à Jean Bonicel de l’Hermet, son beau-frère. Cependant, ce dernier fit expertiser le domaine, dont l’état laissait à désirer. Persuadé d’avoir été lésé, il somma Pierre-Jean de comparaître en l’auditoire de Mende pour y trouver un arrangement. Le château de Combettes était l’objet de procédures qui empoisonnaient la famille de Lescure depuis près de soixante ans. Le seigneur de Farreyrolles, conscient du danger, préféra céder ses droits à son frère, vers 1719. Entre temps, il lui avait également délaissé les revenus du Peuch-Martin et des Fourches. Le chevalier portait en effet depuis 1713 le nom de Peuch-Martin. Il accepta de relever le défi, sûr de parvenir à dénouer les procédures sinueuses qui se dressaient devant lui. Il se voyait déjà couler une heureuse retraite dans cette belle demeure seigneuriale bâtie au XVème siècle, dont l’intérieur et les jardins en terrasses avaient été réaménagés avec goût par son grand-père. Malheureusement, le chevalier de Peuch-Martin se heurta à une affaire d’une incroyable complexité. En 1648, son grand-père maternel, Robert de Lescure, avait laissé, par testament, le château à ses enfants, en exigeant qu’il soit transmis entre eux par substitution. Le domaine passa ainsi entre les mains des frères et sœurs aînés de Jeanne de Lescure, avant de devenir la propriété de notre chevalier. C’est alors que surgit Marie de Retz de Bressolles, veuve d’un autre petit-fils de Robert, qui réclamait la jouissance du château et des terres depuis au moins 1692. N’ayant pas eu d’enfant de son époux, elle avait refusé de céder les revenus du domaine (soit plus de 550 livres par an), comme le prévoyait le testament de son aïeul. S’en était suivi un procès long et ruineux. Entre-temps, les héritiers Lescure entrèrent en procédure contre l’hôpital de Mende au sujet de droits dont l’établissement jouissait sur les métairies du Rabat et de La Chaze, qui dépendaient de Combettes. On retrouve dans les archives pas moins de 70 transactions, assignations, ventes passés devant au moins sept notaires différents entre 1648 et 1741. Pour ne rien arranger, une épidémie de peste ravagea en 1721 le Sud du Gévaudan y compris la ville de Mende. On établit barrière sanitaire strictement infranchissable, afin d’empêcher la propagation du mal vers le Nord. Le chevalier de Peuch-Martin, qui était déjà contraint de quitter la province six mois par an pour servir en tant que chevau-léger de la garde du roi, se trouva bloqué au Nord de cette frontière. De fait, les pourparlers avec le syndic de l’hôpital eurent lieu lors de rendez-vous donnés aux postes de garde de la barrière. Malgré toutes ces embûches et à force de persévérance, il obtint gain de cause au cours de cette même année contre la puissante madame de Retz. Celle-ci lui extorqua cependant plus de 10000 livres. Probablement à bout de ressources, il dû se résoudre à vendre le château et la métairie du Rabat à Jean-Baptiste Blanquet, dont la famille était originaire de Serverette. La vente se fit le 27 mai 1725, moyennant une somme de 13000 livres, qui se changea en une rente viagère de 800 livres, qui ne sera soldée qu’en 1741. Le chevalier s’était réservé, lors de la vente, une chambre au château, mais il y renonça rapidement, soucieux d’en finir définitivement avec cette affaire désastreuse. Farreyrolles au temps des Lumières. Les dernières années du règne de Louis XIV et leurs vicissitudes s’achevaient comme après une lente agonie, alors que toute la génération des Rigal qui avait vécu le Grand Siècle s’éteignait. Leurs enfants, enfin délivrés des tracasseries financières, virent avec grand soulagement, le cœur plein d’espoir, comme l’ensemble des français d’ailleurs, l’avènement de Louis XV, que l’on nommerait très vite le Bien-Aimé. Le chevalier de Peuch-Martin eut l’honneur de faire partie des chevau-légers qui accueillirent le jeune souverain lors de son arrivée sur le parvis la cathédrale de Reims, au matin du sacre, le 24 octobre 1722. Le domaine de Farreyrolles semble avoir quelques peu souffert d’un manque d’entretien au cours de ces années difficiles. En effet, le château est alors décrit comme une « maison couverte à thuilles » avec « chambres basses et hauttes, grenier, estables et autres ses ayzances où [le seigneur] fait sa résidence avec un jardin y joignant et aussi une autre maison en laquelle le métayer fait sa résidence et une tour qui est en ruines ». Cette tour, probablement féodale, était semble-t-il un élément du système de défense de la place. On pense qu’elle se trouvait au Sud de la terrasse du château et qu’elle figurait encore sur le plan cadastral daté de 1833. Son existence est également mentionnée au début du XIXème siècle, lorsque le seigneur de Farreyrolles fait don à l’église de Saint-Rémy d’une cloche qui se trouvait sur « la tour principale de l’ancienne forteresse ». D’autres sources attestent que Farreyrolles était une ancienne place forte, malheureusement, il ne reste presque aucune trace des fortifications ou de cette tour féodale. Le corps de logis du métayer, refermait la terrasse à l’Ouest, il a été démoli après 1833. Il était recouvert d’un toit de chaume, alors que le logis seigneurial, au Nord de la terrasse, avait un toit de lauzes. C’est donc dans ce cadre et ces circonstances que Pierre-Jean Ier et Françoise Recodère préparaient au mieux l’avenir de leurs trois enfants survivants. Quatre autres, prénommés Jeanne, Jean, Catherine et Marguerite, n’avaient pas survécu aux hivers glacés de la fin du siècle. Leur fille cadette, également prénommée Marguerite, fit, alors à peine âgée de 18 ans, un mariage qui plut tant à son père, qu’on peut supposer qu’il fut à l’origine de cette alliance. Elle épousa en effet, le 5 février 1714 en l’église de Saint-Rémy, Me Marc-Antoine Chantal, avocat, d’une famille bourgeoise de Saint-Urcize. L’aînée, Geneviève, épousera le 27 septembre 1724, Jean François Grandet, avocat en parlement et juge du mandement de Fournels. Le couple s’installa dès lors à Chauchaillettes, paroisse de Chauchailles. Une inquiétude du seigneur de Farreyrolles avait encore assombri les dix premières années de son mariage. Son épouse ne lui avait donné qu’un fils qui décéda en bas-âge. Au fil des ans, l’absence d’héritier mâle devenait pensante. Finalement, un enfant baptisé Pierre-Jean vit le jour neuf mois avant que ne s’éteigne son grand-père. On peut imaginer qu’il fit l’objet de toute la bienveillance de ses parents et de ses deux sœurs aînées, Geneviève et Marguerite. Son père lui transmit son sens aigu des valeurs liées à son statut de chef de nom et d’armes d’une famille noble. Alors que l’adolescent avait tout juste 14 ans, le seigneur de Farreyrolles organisa précautionneusement sa succession. S’il venait à décéder avant la majorité de son fils, sa « chère épouse », en qui il avait toute confiance, aurait la charge de gérer tous ses biens, sans qu’elle « soit tenue de rendre aucun compte [.], la dispensant d’aucun inventaire, s’en remettant à sa probité à la charge aussi qu’elle donnera et élèvera [son] dit fils à l’éducation suivant sa qualité ». Si ce dernier devait décéder à son tour sans laisser de postérité, Geneviève devrait lui succéder. En dernier ressort, sa petite-fille, dlle Françoise Chantal, qui n’était alors qu’un nourrisson, deviendrait maîtresse de Farreyrolles « à condition qu’elle épousera un gentilhomme qui prendra mon nom et armes ». Pierre-Jean scella son testament de magnifiques cachets de cire figurant un écu chargé d’une aigle éployée, le tout timbré d’une couronne de gentilhomme et soutenu par deux griffons. Le précieux document ne fut jamais décacheté. En 1723, le seigneur de Farreyrolles, qui sortait d’une procédure contre son gendre, Marc-Antoine Chantal, fut contraint d’emprunter. Il se mit en quête d’un parti favorable pour son fils alors âgé de 24 ans, à qui il avait donné le titre de sieur de Freissinet (Fraissinoux). Un bon mariage permettrait une rentrée d’argent susceptible de couvrir les dettes, d’autant plus qu’il fallait prévoir de doter sa fille aînée Geneviève qui rêvait déjà de mariage. Pierre-Jean Ier œuvra probablement avec l’aide de son frère, le chevalier de Peuch-Martin, qui entretenait d’étroites relations avec les parents et amis de sa défunte mère, Jeanne de Lescure. Parmi cette parentelle, se trouvait un certain Jacques Rotquier, opulent avocat en parlement de Toulouse, qui avait acheté en 1704 le domaine noble de La Valette, situé paroisse de Prunières. Il y avait fait construire, sur les bords de la Truyère, un grand château qui lui servait de résidence d’été où il menait une vie de gentilhomme. Il avait rapidement pris le nom pompeux de Rotquier de La Valette. Marie-Anne de Rouffiac, son épouse, lui avait donné deux enfants, Pierre et Delphine. L’avocat, qui rêvait d’alliance noble pour sa fille, consentit sans difficulté à l’affaire. Ainsi, le contrat de mariage fut signé le 30 août 1724 au château de La Valette. La totalité des 15999 livres 15 sols de dot fut immédiatement employée à rembourser divers créanciers du seigneur de Farreyrolles. Françoise Recodère, absente mais représentée par Marc-Antoine Chantal, donna 1500 livres aux époux. En ce jour mémorable, de prestigieux invités étaient présents, tels Mre Hyacinthe de Molette de Morangiès, abbé de Puylaurent et Mre Antoine-Gabriel d’Apchier, baron de Lodières, cousin de l’époux. On imagine que les festivités furent à la hauteur de l’orgueil du sieur de La Valette, et du soulagement de Pierre-Jean Ier. Les efforts et la persévérance de Pierre-Jean Ier furent couronnés deux ans plus tard, lorsqu’il vit naître son petit-fils, baptisé Pierre-Jean-Baptiste. Il avait passé trente ans de sa vie à maintenir à bout de bras le rang de sa famille, et nous avons vu combien de vicissitudes avaient assombri ses premières années à la tête de Farreyrolles. Il s’éteignit paisiblement entouré de sa descendance le 27 mars 1736, à l’âge de 77 ans. Pierre-Jean III, seigneur de Freissinet, prit le titre de son défunt père, puis demanda à Me Chantal, notaire à Chaudes-Aigues, de renouveler le terrier des Fourches et des Saillans dès le mois de décembre 1736. Il resta toute sa vie particulièrement attaché à son fief de Fraissinoux, au point qu’il se fit appeler seigneur de Freissinet de Farreyrolles. Dès 1725 en effet, il avait obtenu par caprice le rachat de la moitié d’un pré appelé le pré Grand ou de Rigal, situé à Fraissinoux. Ce bien, que son aïeul Guillaume Rigal possédait déjà en 1536, avait été vendu à regret deux ans auparavant par son père à cours de subsides. Les deux mille livres nécessaires à la transaction furent versées par Jacques Rotquier... De son éducation peut-être trop protectrice, Pierre-Jean III tira un orgueil aussi marqué qu’un sens des affaires médiocre. Delphine Rotquier donna au seigneur de Freissinet six filles prénommées Françoise, Janeton, Marguerite, autre Marguerite, autre Françoise et Geneviève. A chaque naissance, le couple faisait partager son bonheur avec des convives de marque de plus en plus nombreux. Ainsi le comte de Montvallat, qui était alors le personnage le plus en vue de la subdélégation de Chaudes-Aigues, accepta-t-il d’être le parrain de la petite Marguerite. En outre, il avait pour héritier un unique petit-fils qui pourrait un jour faire un très bon parti. L’abbé Filhon, qui enregistrait les actes de baptêmes, ne tari pas de titres rutilants pour nommer chacun des membres de cette « gentry ». A l’instar de toute bonne famille, Delphine Rotquier, dame de Farreyrolles, souhaitait ardemment que ses deux filles aînées entrent en religion. Un grand malheur s’abattit à nouveau sur Farreyrolles, le 29 mars 1749. Pierre-Jean-Baptiste de Rigal de Farreyrolles (ainsi que son père exigeait qu’on l’appelle) décéda à peine âgé de 24 ans. Son père, qui avait placé tous ces espoirs en son unique héritier, en fut profondément affecté. L’année suivante, une nouvelle grossesse de son épouse lui permit de fonder de nouveaux espoirs. Quelle fut sa déception lorsqu’il apprit la naissance d’une petite fille, qu’il nommerait Marie-Jeanne ! La malheureuse Delphine Rotquier, accablée par un sentiment d’impuissance et de culpabilité vis-à-vis de son vaniteux époux, s’éteint à son tour (probablement en couches) l’année suivante, le 21 juin 1751, à bout de souffrances et de chagrin. Le seigneur de Freissinet, qui n’avait eu d’yeux que pour son fils, sembla dès lors se désintéresser totalement de la destinée des demoiselles de Farreyrolles ses filles. L’aînée avait tout juste 23 ans, la dernière à peine plus d’un an. Pierre-Jean III se renferma sur soi-même, au point que quinze ans passèrent sans qu’il songeat à en marier aucune. Durant ces années de langueur, les aînées des demoiselles veillèrent elles-mêmes à l’éducation de leurs cadettes, occupant leurs journées aux promenades dans le parc et à l’entretient du jardin et du potager, et leurs veillées à filer la laine sur leur rouet, à la lecture et à l’écriture, alors que leur père, prostré dans le salon du château qu’il affectionnait, s’abandonnait à la mélancolie et à la prière. Le spectre d’un frère défunt, que les plus jeunes des demoiselles n’avaient même pas connu, pesait sur la vie de chacun. Farreyrolles s’endormait ainsi dans une triste torpeur. Qu’adviendrait-il de ce domaine dont les Rigal étaient seigneurs depuis au moins six générations ? L’une des demoiselles de Farreyrolles les plus jeunes, Geneviève, fut emportée par une épidémie de dysenterie le 10 mai 1770, après plusieurs semaines de souffrances. Elle n’eut même pas la force de signer son testament rédigé en faveur de sa sœur aînée Françoise. Cette dernière avait épousé, en 1765, Pierre Boucharenc, procureur fiscal du marquisat de Brion, avec qui elle vivait à Chauchailles. Marguerite, la plus jeune, tomba enceinte à l’âge de 21 ans et fut contrainte d’épouser un fils d’une famille bourgeoise d’Albaret-le-Comtal, François Coumoul. Son père, indigné et rongé par le regret, refusa de se rendre à la noce. Françoise la plus jeune fut mariée en 1774 à un aubergiste de Langeac, Claude Dussuc ; elle n’en aura pas d’enfant. Son père, qui estimait l’avoir suffisamment doté, ne lui légua que 5 sols ! Elle décèdera dans cette bourgade éloignée, sans que sa famille de Farreyrolles ne se donne la peine de venir à ses funérailles. Personne ne vint non plus récupérer ses effets personnels. Au bout de quatre mois d’attente, Claude Joumard, aubergiste, neveu par alliance de la défunte, fit ouvrir « deux armoires où sont renfermés des linges, hardes et autres effets dépendans de la succession » afin de se « mettre à même de pouvoir jouir d’un appartement dont il a grand besoin et qu’occupent actuellement les effets de la dite succession ». Enfin, Janeton épousa un tisserand de Saint-Rémy, Jean Bère. Elle s’éteint un jour d’automne 1794 ; dans son acte de décès, l’officier d’état-civil la qualifia sèchement de « fileuse de laine ». En 1757, un nouveau prêtre prit possession de la cure et vicairie de la paroisse de Saint-Rémy. Mre Antoine Pagès, fils de famille bourgeoise à la personnalité multiple et insondable, allait redonner le goût des affaires au seigneur de Farreyrolles. Très rapidement après son installation, cet abbé originaire d’Ussel, sans doute meilleur homme d’affaires que d’église, multiplia les transactions financières avec ses paroissiens et les habitants des alentours. Il fit ainsi fructifier à la fois les deniers de la paroisse et ses biens propres. Il fit probablement réaménager confortablement le prieuré. On peut y voir de nos jours les greniers à dîmes que cet homme jaloux de ses richesses fit aménager à quelques centimètres de l’alcôve de son lit, au premier étage de la maison. Il n’hésita pas à fulminer avec violence devant l’intendant contre le subdélégué de Chaudes-Aigues qui osait envisager de taxer une partie de ses revenus. Autre facette surprenante du personnage ; on retrouve dans ses archives un recueil de chansons à boire transcrites par ses soins au dos de vieux papiers officiels. Les affaires de Pierre-Jean III n’étaient pas bonnes. Il venait notamment de perdre un procès contre ses cousins Vialard, à qui il fut condamné à verser près de 3000 livres. L’abbé lui prêta dès lors 1000 livres probablement à taux d’usure, et donc masqué sous forme d’une vente de terres (l’usure étant interdite sous l’Ancien-Régime). A nouveau couvert de dettes, le seigneur de Farreyrolles dut se résoudre à vendre le domaine des Fourches à Me Jean-Pierre Ipchier, procureur d’office de la justice de Saint-Urcize, pour une somme de 6000 livres. Une fois ses créanciers payés, il ne lui resta plus que 96 livres de « pot-de-vin ». Le domaine resta dans la mouvance de Farreyrolles, dont le seigneur percevait un cens annuel de 6 deniers, mais l’année suivante l’abbé Pagès acheta le droit seigneurial ainsi que le domaine des Saillans et le moulin d’Échalouppes. Les deux hommes multiplièrent les transactions ; l’abbé sut très probablement flatter l’orgueil de Pierre-Jean III. Gagnant ainsi sa confiance, il l’encouragea à reprendre sa famille en main, et fut alors le chef d’orchestre d’une manœuvre ambitieuse qui, au passage, lui serait fort rentable. La dernière fille du seigneur de Freissinet, Marie-Jeanne, restait à marier. L’abbé imagina une alliance avec Mre André de Saint-Pol, d’une famille noble d’origine chevaleresque et seigneur de Villedieu, vivant au domaine du Groulès, dans la paroisse voisine des Deux-Verges. Le seigneur de Freissinet y fut réticent, d’une part il ne pouvait pas se résoudre à délaisser ainsi Farreyrolles, domaine de ses aïeux, à une famille qui ne portait pas son nom, d’autre part il savait que le sieur de Saint-Pol était également en butte à de graves problèmes financiers. Pierre-Jean III, alors âgé de 75 ans, destinait sa fille cadette à rester auprès de lui.et à son service. L’abbé insista sur l’ancienneté et l’honorabilité de la famille du futur époux, et s’engagea à restituer, après le mariage, les domaines des Fourches et des Saillans, à un prix avantageux. Farreyrolles pourrait alors retrouver ses fastes d’antan. Le contrat de mariage fut signé le 30 juillet 1777. Sur les conseils de l’abbé, le seigneur de Farreyrolles donna l’ensemble de ses biens à sa fille. Il était désormais insolvable, et les créanciers n’avaient plus qu’à attendre l’ouverture de sa succession. En contrepartie, Pierre-Jean III exigea que les jeunes époux le nourrissent, le logent et l’entretiennent selon sa condition, à charge pour eux de « lui fournir un domestique attaché uniquement au service dudit seigneur donateur, plus de lui fournir et entretenir un cheval arnaché et ferré pendant la vie dudit seigneur donateur, plus la jouissance [.] du pré appellé Prat Grand situé au village de Freissinoux et de la maison qui est audit lieu ». Les époux Saint-Pol doivent également lui verser 600 livres pour le bétail du domaine, plus une rente annuelle de 120 livres. « Le seigneur donateur fait réserve en cas d’incompatibilité de la jouissance de l’appartement appellé le Salon et la cave y attenant et tous les meubles à lui nécessaires, et une pension de 500 livres annuellement pendant que ladite incompatibilité durera ». Quoi qu’il arrive, le couple sera tenu de « faire apporter audit seigneur donateur tout le bois nécessaire pour son chauffage et de le faire couper en buchez prêt à mettre au feu, et aura ledit seigneur donateur la liberté de prendre des herbes du jardin de toute espèce sans avoir besoin de demander aucune permission ». Enfin, le futur époux doit payer 700 livres de gages dus aux domestiques du château. Voilà quel était le prix du bonheur de ce jeune couple appelé à redonner vie au domaine de Farreyrolles. Les biens donnés aux époux furent alors estimés à 30.000 livres. L’abbé Pagès célébra le mariage le jour même. La première phase de son plan se déroulait à merveille. Dès l’année suivante, naissait un fils prénommé Pierre-Jean. Un autre garçon et deux filles naîtraient également du mariage. André de Saint-Pol et Marie-Jeanne avaient fort à faire, le seigneur de Farreyrolles ayant négligé d’entretenir le domaine depuis près de trente ans. Les bâtiments étaient en très mauvais état et avaient besoin de réparations urgentes. Un inventaire de Farreyrolles, bien que postérieur de quinze ans, nous renseigne plus précisément sur l’architecture et l’état du château et des dépendances à cette époque. Le corps de logis principal comprenait au rez-de-chaussée une cuisine, le salon où se trouvait le « lit garni de rideaux en étoffes du pays bien usés » de Pierre-Jean III, et la cave où étaient entreposées douze barriques de vin. À l’étage, trois chambres, l’une dite du pain, l’autre du milieu et la troisième de derrière, avec, au dessus, les greniers. Selon les experts, « il n’y avoit que les seules planches du grenier qui fussent en état, les planches des chambres étant hors de service, les fenêtres étant sans croinères, sans vitres et sans contrevents, avons estimé qu’il étoit nécessaire de faire deux fenêtres toutes neuves à la cuisine et une autre au salon ». Une grange et écurie dite de La Borie était « entièrement en ruines, les murailles étant soutenues par des appuis, le boisage étant entièrement calciné, les couverts étant sur le point crouler et couverts en paille dont la moitié a été enlevée par les vents, avons observé que ladite grange étoit hors d’état de servir sans être refaite entièrement à neuf, que les enciens boisements ne pouvoient plus être employés, que toutes les pierres de taille étoient brisées et que la plus part des matériaux étoient encore hors de service ». Quant aux écuries et granges « attenantes à la maison d’habitation à l’aspect du levant », elles étaient « encore en plus mauvais état que la première, le tout couvert à paille dont plus de la moitié a été enlevé par les vents, toutes les boisenettes étant pourries, les murailles presque démolies et ne pouvant servir sans être prises au fondement, toutes les pierres de taille étant brisées et sans portes et fermetures, ladite grange ayant besoin d’être entièrement refaite à neuf et même d’être creusée pour de nouveaux fondements attendu qu’il est qu’elle soit élargie et même alongée ». Seule une troisième grange construite entre 1723 et 1801 et située à une trentaine de mètres à l’Ouest du château, était en état d’abriter le bétail et les outils d’agriculture. Elle servait également de logis au fermier. L’inventaire ne mentionne pas l’ancienne tour féodale, dont il ne restait probablement que des ruines. Encouragés par Pierre-Jean III, qui veillait à maintenir son train de vie, et par l’abbé Pagès, qui avait comme promis rétrocédé les domaines des Fourches et des Saillans dès 1780 (non sans avoir joui de leur revenus pendant plus de dix ans), les jeunes époux Saint-Pol envisagèrent de rendre au château tout son éclat. Pour mener ce projet coûteux à bien, André de Saint-Pol prit la décision difficile de vendre son domaine du Groulès qu’il avait reçu de ses aïeux. À cette époque où la région était considérablement appauvrie, trouver un acheteur pour un bien de cette importance n’était pas une mince affaire. Comme on pouvait s’y attendre, l’abbé était l’un des rares personnages à disposer des liquidités nécessaires à la transaction. Il emporta la vente moyennant la somme relativement dérisoire de 22.600 livres. Ainsi aboutissaient les manœuvres financières du curé de Saint-Rémy qui depuis de longues années convoitait secrètement le domaine du Groulès ; il le destinait à l’offrir à son neveu et filleul, Me Antoine Loussert, qui prit dès lors le nom de Loussert de Grollés. Un nouveau coup du sort brisa net les rêves et les projets des jeunes maîtres de Farreyrolles. En novembre 1786, quelques mois à peine après la vente du Groulès, André de Saint-Pol trouva la mort, terrassé par la maladie. Le seigneur de Farreyrolles et sa fille (cette dernière devait bientôt donner naissance à un cinquième enfant) replongèrent dans le chagrin et l’affliction. Malgré les fonds considérables dont ils disposaient désormais et l’urgence de la situation, rien ne fut entrepris. En 1789, après trois années d’immobilisme, d’autres évènements allaient encore bouleverser la vie du domaine. et celle du royaume tout entier. Les Rigal de Peuch-Martin. Comme nous l’avons vu plus haut, l’auteur de cette branche est Pierre-Jean II de Rigal, fils cadet de Jean, sieur de Peuch-Martin, et de Jeanne de Lescure. Il convient donc de revenir aux premières années du XVIIIème siècle. Alors que son frère aîné entrait en possession de Farreyrolles, Pierre-Jean II prit le métier des armes autour de 1690, à l’âge de 22 ans. Il obtint rapidement le titre de chevalier de l’Ordre Militaire de Saint-Louis, puisque dès 1701 il portait le titre de chevalier de Farreyrolles. Comme le voulait la coutume, Pierre-Jean II prit un nom de guerre. En mémoire de son père, il choisit de porter sur les champs de batailles le nom de Peuch-Martin. Il ne portera civilement ce nom qu’à partir de 1721. Aussi l’intendant d’Auvergne affirmait-il en 1705 : « j’ay esté quelque temps à découvrir qui estoit le sieur de Peuch-Martin parce que dans la province on ne le nomme pas ainsy ». Le chevalier de Peuch-Martin accomplit une carrière militaire honorable. Nous savons qu’en 1705 il était capitaine d’infanterie au régiment de Maubourg, avant d’intégrer le régiment des Gendarmes-Dauphin. Nous le retrouvons en 1710 et l’année suivante auprès du comte François III d’Estaing, dont il était aide de camp. Le royaume était alors en pleine guerre de Succession d’Espagne, les défaites s’accumulaient. Le comte fut envoyé à Arleux par le maréchal de Villars dès 1711. Il reprit cette ville à l’ennemi, puis se rendit maître dès 1712 de Denain, Douai et Le Quesnoy. Ces victoires galvanisèrent le royaume tout entier, Estaing reçu en récompense le gouvernement de Douai, après avoir été gouverneur des évêchés de Metz, Verdun et Châlon. Après ces années passées au service du comte victorieux, notre chevalier fut promu l’un des deux cents chevau-légers de la garde ordinaire du roi de 1719 à 1724. C’est alors qu’il occupait ce poste prestigieux qu’il assista au sacre du tout jeune Louis XV, en 1722. Tout au long de ces 35 années passées au service du roi, Pierre-Jean II sillonna le royaume, au gré des déplacements de ses régiments. Ainsi, en février 1705 était-il à Bruges puis, quelques semaines plus tard, à Paris où il rendit visite à un ami originaire de Saint-Flour. Il se trouvait avec son régiment à Chaudes-Aigues le 16 avril puis à Clermont la semaine suivante, où il était chargé du recrutement pour sa compagnie. Il passa en mai 1710 à Montargis, où sa compagnie dut faire face à une émeute d’habitants qui lui refusèrent le logement. Enfin, notre chevalier promu chevau-léger suivit les déplacements de la Cour entre Versailles, Marly, Saint-Cloud et Fontainebleau, jusqu’en 1724. En outre, le service par quartiers lui permettait de rentrer en Auvergne toute une partie de l’année. Ainsi, il passa l’hiver 1722 en son château de Combettes alors qu’il avait en général l’habitude de se retirer à Farreyrolles. Il ne s’installera définitivement à La Roche-Canillac qu’en 1726. Le chevalier, personnage charismatique, forgea au cours de sa carrière de solides amitiés avec des personnalités très influentes. Il resta lié au comte d’Estaing, comme l’atteste sa correspondance. Il envisageait d’ailleurs de rendre visite à cet ami célèbre dans tout le royaume, alors en demeure à Paris, dès le mois de juin 1732, cependant le vieux lieutenant général des armées du roi décéda au mois d’avril. Nous avons vu que le chevalier fit jouer ses relations en Gévaudan afin d’organiser le mariage de son neveu Pierre-Jean III avec Delphine Rotquier de La Valette. Lorsqu’il se retira à La Roche, il se lia d’amitié avec Me Fabry, notaire à Saint-Urcize. Lorsqu’en 1729, le chevalier fut atteint d’un violent « point de costé » qui avait failli l’emporter, il écrivit au notaire « il me tarde de boire avec vous et de vous embrasser et de vous assurer que je suis du meilleur de mon cœur, Monsieur et cher Fabry, vostre très humble et très obéissant serviteur ». Il intervint auprès du subdélégué de Chaudes-Aigues en faveur de son beau-frère Me Rougier, notaire, qui fut injustement surtaxé par les collecteurs de la taille. Il s’assura même que ceux-ci soient sévèrement réprimandés. Autre preuve de sa réputation sans faille, le marquis de Canillac le nomme son représentant spécial dans ses mandements de Saint-Urcize, Saint-Rémy et La Trinitat. Aussi, le chevalier accepta-t-il de défendre les habitants de La Roche-Canillac spoliés par des particuliers sans scrupules. Il y gagna en estime et respectabilité. En outre ; il semble avoir joui d’un grand succès auprès de la gent féminine ; ne voit-on pas des demoiselles des paroisses alentour lui faire des donations, parfois de la totalité de leurs biens ! La réussite sociale du chevalier de Peuch-Martin lui valut aussi quelques ennemis. En 1705, lors d’une noce probablement bien arrosée, le chevalier fut blessé d’un coup de pistolet. Certains habitants de La Roche-Canillac furent soupçonnés et mis aux arrêts avant d’être rapidement disculpés par le chevalier lui-même. La même année, le chevalier fut accusé à tort par le major de son régiment, un nommé Dubois de Villeneuve, d’avoir subtilisé la solde destinée à d’autres officiers. Selon l’intendant d’Auvergne, averti de l’affaire, Dubois avait tenté de nuire à Pierre-Jean II à plusieurs reprises. C’est au cours de l’année 1726 que le chevalier se retira à La Roche-Canillac. La légende veut qu’un rejeton de Farreyrolles ait acheté un vaste pré, le pré du Moussu, tout proche de ce village à une demoiselle de Marvejols. Il aurait transporté les nombreux louis d’or de la transaction à dos d’âne. S’agit-il là d’une évocation du chevalier venant investir à La Roche ? Au mois de juillet 1726, il acquit les ruines d’une maison située au pied de l’ancien château des marquis de Canillac, qu’il entreprit de faire restaurer. Les travaux devaient s’achever en mai 1728. Il s’y installa avec son valet, surnommé Pichounet, et une servante nommée Antoinette Saltel. Le chevalier coula une retraite très confortable, jouissant de la rente viagère de Combettes, soit 800 livres par an, et du revenu du domaine des Fourches, soit 135 livres plus les redevances en nature dont il jouissait depuis 1701. Son frère lui avait également cédé le droit de prendre librement son bois de chauffage au bois du Peuch-Martin, tout près de Farreyrolles. Ce droit se perpétuera d’ailleurs jusqu’à la fin du XIXème siècle. Pierre-Jean II pouvait ainsi vivre grand-train, il aimait également porter beau, se procurant ses vêtements chez un tailleur de Paris, monsieur Dupuy, rue Saint-Germain-l’Auxerrois. Pour autant, il gérait scrupuleusement son argent, tenant un « livre-journal » de comptes, et gardant constamment à disposition une cassette remplie d’espèces sonnantes et trébuchantes. Ainsi, nous savons qu’en 1729 le précieux coffret contenait 124 louis d’or chacun d’une valeur de 24 livres, et une quadruple pistole d’Espagne en or d’une valeur de 80 livres. Le 4 février 1736, contre toute attente, le chevalier de Peuch-Martin, alors âgé de 68 ans, épousa Françoise Abriol, de La Roche-Canillac, de 35 ans sa cadette ! Les époux avaient obtenu dispense de l’évêque de Saint-Flour afin que la cérémonie se déroule dans la maison du chevalier hors du temps de la messe. Les époux légitimèrent immédiatement « un enfant male des œuvres du sieur chevalier », prénommé Jean. De ce mariage très tardif, naquirent trois autres garçons, Pierre-Jean IV, Pierre-Jean-Baptiste probablement décédé en bas-âge et Jean-François. Ainsi naissait, in extremis, la branche des Rigal de Peuch-Martin, dont la postérité existe encore. Après une vie riche en aventures et en rebondissements, le chevalier de Peuch-Martin s’éteindra le 3 mai 1742, à l’âge de 74 ans. Il avait dicté son testament au curé de Saint-Rémy deux jours auparavant. Ses dernières volontés, qui ne nous sont pas parvenues, n’ont jamais été exécutées, par suite d’une malheureuse erreur de procédure. Le plus jeune fils du chevalier, Jean-François, décéda à l’âge de 37 ans célibataire et sans laisser de postérité. Dlle Françoise Abriol de Peuch-Martin, ainsi nommait-on désormais la veuve de Pierre-Jean II, destina son fils Pierre-Jean IV à une carrière militaire. Dès 1754, son cousin germain, Pierre-Jean III seigneur de Freissinet présenta à l’intendant d’Auvergne un mémoire afin de le faire entrer charitablement à la toute nouvelle École Militaire, sa « mère [étant] dans l’impossibilité de pouvoir faire élever, ne jouissant que de 100 livres de revenû ». On ne sait s’il intégra cette illustre école, mais on le retrouve entre 1760 et 1767, comme sergent au régiment de Condé, puis probablement capitaine de compagnie. Il décèdera en 1796 sans laisser de postérité. En 1764, le curé de Saint-Rémy baptisa un enfant « auquel on a donné pour père le sieur de Rigal de Peuchmartin et pour mère Françoise Saltel ». Cet acte de baptême rédigé de manière énigmatique par l’abbé Pagès laisse planer le doute sur l’identité du père, qui semble bien être Jean de Rigal de Peuch-Martin, fils aîné du chevalier. On ignore totalement la destinée de cet enfant naturel. Toujours est-il que sa venue au monde fut à l’origine de graves problèmes familiaux dont on connait assez mal l’ampleur. Cette naissance fut d’autant plus mal accueillie que le juge de Saint-Urcize, Me Jean Vaissade, projetait très sérieusement de marier une de ses filles au sieur de Peuch-Martin. Ce dernier dut probablement se résoudre à abandonner son fils naturel avant d’espérer reprendre les pourparlers avec son futur beau-père. Malgré cette décision douloureuse, la situation s’envenima au point que le jeune frère du sieur de Peuch-Martin, Pierre-Jean IV, adressa de Tours, le 13 octobre 1767, une supplique au duc de Choiseul pour demander sa « sortie d’un corps [le régiment de Condé] qui, sans me deshonorer ne peut me donner aucun brillant joint à cela, monseigneur, des affaires des famille qui traînent depuis long temps et qui ne peuvent avoir de terminaison que lorsque je serai présent exigent que je me retire pour ÿ vaquer ». Était jointe à cette demande une lettre de son frère faisant mention de partages qu’ils avaient à faire. Il en reste une légende familiale tenace qui veut qu’un aïeul ait déshérité son fils aîné, et qu’il en fut rongé de remord toute sa vie. Moins de six mois après la naissance de cet enfant, Jean de Rigal de Peuch-Martin signait son contrat de mariage avec dlle Marie Vaissade, fille du juge de Saint-Urcize et de défunte dlle Elizabeth Boyer. La dot fut de 2880 livres, comprenant des robes et joyaux d’une valeur de 200 livres. Le contrôleur des actes du bureau de Chaudes-Aigues estima les biens des époux à 4000 livres, précisant que le sieur de Peuch-Martin était un simple gentilhomme n’ayant aucune rente. De ce mariage devaient naître quatre garçons : Pierre-Jean V, décédé en bas-âge, Jean-Baptiste, Jean-François dont on ignore la destinée, et Pierre-Jean VI. Seul Jean-Baptiste serait appelé à succéder à son père et à laisser une postérité. Après des premières années de mariage houleux, la vie des Rigal de Peuch-Martin se déroula paisiblement, ne laissant que de rares traces dans les archives. On ne retrouve aucun contrat d’afferme concernant le sieur de Peuch-Martin ou ses proches, ce qui laisse supposer qu’ils travaillèrent eux-mêmes les terres que leur avait laissé leur père. L’aura du chevalier planait encore sur le village de La Roche. Dans la maison qu’il avait fait construire pour ses vieux jours, les officiers de Saint-Urcize avaient coutume de rendre justice pour les affaires concernant les habitants du village. Fréquemment aussi, lorsque le temps était trop mauvais pour se rendre à l’église de Saint-Rémy, des messes y étaient données. En l’absence du seigneur de La Roche-Canillac qui ne venait d’ailleurs jamais dans la région, les Peuch-Martin donnaient l’illusion d’être les seigneurs du lieu. Aussi l’abbé Pagès, encore lui, prenait-il la liberté de nommer Jean de Rigal et son fils les « sieurs de la Roche ». Les liens avec leurs cousins de Farreyrolles étaient constants et fraternels. Jean de Rigal de Peuch-Martin assista d’ailleurs chacune des demoiselles de Farreyrolles lors de leur mariage, leur père leur ayant refusé tout soutien direct. En outre, le seigneur de Freissinet laissa à ses cousins de La Roche la jouissance du bois de Peuch-Martin, comme son père l’avait fait pour le défunt chevalier de Peuch-Martin. Cette faveur était d’autant plus importante qu’en cette région aux hivers glacials le bois de chauffage était rare et sa coupe sévèrement règlementée par les propriétaires qui en tiraient un certain profit. La fin d’un monde. En ces années 1780, le royaume s’enfonçait dans une crise économique, que ni le roi Louis XVI ni ses ministres ne parvenaient à juguler. Les années de mauvaises récoltent se succédaient, on venait à manquer de pain dans les villes. La subdélégation de Chaudes-Aigues, comme tout le pays, était écrasé d’impôts de toutes sortes qui ne parvenaient pourtant pas à renflouer les caisses de l’État. La noblesse de la région, exsangue et à cours de ressources s’étiolait lentement. Aussi les familles les plus fortunées avaient-elles quitté nos hauts-plateaux rudes et peu fertiles depuis plusieurs décennies. Sur la trentaine de châteaux du mandement voisin de Ruynes n’en subsistaient que cinq plus ou moins bien conservés. Le château de La Roche-Canillac n’était depuis bien longtemps plus qu’une ruine ; depuis 1732, l’illustre famille des Beaufort-Canillac n’était plus les seigneurs de ce lieu qui fut si cher à leurs lointains aïeux. Quant à l’antique mandement de Saint-Juéry, il avait été démembré dans les années 1750 par le marquis de Valady. Et que dire du château de Lodières, où l’on avait jadis brillamment fêté les noces de Gabriel de Rigal et d’Anne d’Apchier, qui était en 1789 abandonné et dans un triste état ? La vaste demeure, était alors inhabitée depuis des années, les fenêtres n’avaient plus ni vitres ni contre-vents, l’intérieur complètement en ruines, les planchers pourris, et la toiture prenait l’eau de toute part. Il ne reste aujourd’hui plus rien de ce château. Le château de Farreyrolles était lui aussi dans un état déplorable, mais il faisait partie des rares demeures où vivaient encore leur antique famille féodale. Sans l’intervention de l’abbé Pagès quelques années plus tôt, le domaine était en passe de subir le même sort que ses illustres voisins. Cependant le vieux seigneur de Freissinet gardait le regret immense de voir ses petits-enfants porter le nom de Saint-Pol. Il s’éteindra le 12 janvier 1789, laissant sa fille Marie-Jeanne à la tête du vaste domaine qui restait à reconstruire. Cette dernière devait dès lors faire face et élever ses quatre enfants seule. Elle demanda d’ailleurs à son beau-frère, Pierre de Saint-Pol resté vieux garçon, de s’installer au château pour la seconder dans cette lourde tâche. Cette cohabitation bien opportune dura plusieurs années. La convocation des États Généraux, au printemps 1789, souleva une vague d’espérance parmi la population ; les réformes tant attendues devaient notamment définir une répartition plus équitable de l’impôt et une simplification de son mode de prélèvement. En tant que gentilhomme chef de nom et d’armes de sa famille, Jean-Baptiste de Rigal de Peuch-Martin fut convoqué à l’assemblée générale des trois Ordres de Haute-Auvergne. Cette assemblée se tint à Saint-Flour, dans la grande nef de la chapelle des Frères Prêcheurs. On procéda à l’ouverture solennelle de l’assemblée le 22 mars, en présence du marquis de La Fayette. Malgré un temps exécrable, les 400 délégués dont 86 nobles avec leurs cortèges de domestiques et d’équipages furent hébergés durant une semaine en ville, où ils trouvèrent bon accueil dans un élan général d’optimisme. Cependant, l’emballement des évènements parisiens au mois de juillet suivant changea radicalement la tournure des choses. Dans les jours qui suivirent, la Grande Peur, née de rumeurs selon lesquelles des bandes de pillards et d’assassins ravageaient tout le royaume, secoua les habitants de la région. Puis fut votée l’abolition des privilèges, avant que ne se déchaîne un peu partout la violence révolutionnaire. A Saint-Rémy, les Rigal de Peuch-Martin et les Saint-Pol de Farreyrolles ne furent pas visés par la vindicte populaire. En effet, durant ces dernières décennies, ils n’avaient jamais été aussi proches du peuple paysan par leur labeur quotidien, et même de la désormais toute-puissante bourgeoisie par le jeu des alliances matrimoniales. Lorsque la constitution civile du clergé fut votée, le 12 juillet 1790, le mécontentement retentit violemment dans la paroisse. Contre toute attente, l’abbé Pagès, qui avait jusque-alors été fervent monarchiste, fut le seul prêtre du canton à prêter serment à la Constitution ! Ses paroissiens, en tête desquels il avait placé lui-même, dans ses registres de Bonnes-Ouvres, Madame de Farreyrolles et Madame de Peuchmartin, lui en tinrent largement rigueur. Aussi, « le 13 janvier 1796, sur les dix heures du matin, huit hommes, dont trois masqués, armés de pistolets et de fusils, arrivent au presbytère de Saint-Rémy et demandent à la domestique où est le curé Pagès. Elle répond qu’elle ne sait pas où il est ; mais tout à coup ces hommes aperçoivent le curé dans un pré ; ils l’abordent en disant : « Arrête-toi ou tu es mort. » Ils le conduisent au presbytère, et l’un des brigands lui dit : « Nous sommes ici au nom de la religion, prépare-toi ; voici ton heure dernière ; mais avant de mourir, il faut que tu nous donnes des rafraîchissements et de l’argent ». On mangea, on but. Quant à l’argent, le malheureux curé n’avait que 18 livres en numéraire et 1900 livres en assignats. Cela ne suffit pas, dit un brigand, et en même temps il donne l’ordre de tirer sur lui. Le curé promit d’aller en chercher au village et envoya sa domestique qui rapporta 48 livres. Non satisfaits, les brigands conduisirent le pauvre prêtre à l’écurie. « A genoux ! et fais ton acte de contrition ! » Pagès se jette à leurs pieds, défaillant et suppliant. « Fais-nous un billet de 600 francs, rétracte ton serment et tu auras la vie sauve ». Pagès fit tout ce qu’on voulut et les brigands se retirèrent, emportant tout ce qu’ils trouvèrent de quelque valeur ». Une nièce de l’abbé, Françoise Loussert, qui demeurait au presbytère, assista terrifiée à toute la scène. Elle devait épouser, six ans plus tard, Jean-Baptiste de Rigal. On ne sait pas ce qu’il advint de l’abbé, personnage haut en couleurs. Il ne se présenta pas au mariage de sa nièce, ayant très probablement quitté la région. Avec lui disparaissait le dernier acteur de la vie à Saint-Rémy sous l’Ancien Régime. Une fois la tourmente de la Révolution passée, il fallait songer à reconstruire un monde nouveau. En 1823, tandis que Jean-Baptiste de Rigal restaurait de fond en comble la maison de son grand-père, Pierre-Jean de Saint-Pol reconstruisait totalement Farreyrolles, pour lui donner le visage somptueux que nous lui connaissons désormais. Par la pierre et la terre, l’un et l’autre espéraient ainsi transmettre à leurs enfants la mémoire de leurs aïeux dont la vie n’avait peut-être pas été si différente de la leur. Depuis, dans leur cœur, raisonnent encore les aventures pittoresques de nos chers ancêtres.
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